le siècle des lumières

Monday, December 15, 2008

Jacques le Fataliste et son maître

roman de Denis Diderot. Écrit à partir de 1765, probablement remanié vers 1773 (le texte aurait en fait été métamorphosé par plusieurs additions), il paraît en feuilleton dans la Correspondance littéraire de Grimm, entre 1778 et 1780, avant d’être publié, à titre posthume, en 1796. L’auteur s’est directement inspiré d’une œuvre anglaise de Laurence Sterne, Vie et Opinions de Tristram Shandy. Mais il fait référence à bien d’autres écrivains, notamment Goldoni, Molière ou Cervantès.

Diderot a écrit ce roman entre 1771 et 1778 et semble s'être inspiré de "Tristam Shandy" de Laurence Sterne et aborde un thème emblématique du 18ème, le fatalisme.

L'histoire : 2 hommes, un maître et son valet Jacques partent sur les chemins à cheval vers une destination qu'on ne connait pas en discutant des histoires arrivées à l'un ou l'autre. L'intérêt majeur réside dans l'inversement des rôles et des rapports de force autant que dans l'approche "philosophique" très vulgarisée du point de vue de Jacques: "...tout ce qui nous arrive de bien ou de mal ici-bas est écrit là-haut"... "c'est écrit sur le grand rouleau de la vie."

C'est sur la base de ces aphorismes que Diderot se joue de son lecteur en le faisant passer de Jacques à son maître sans jamais finir une histoire sans l'interrompre par une autre; ainsi dès le départ Jacques promet à son maître de lui raconter les amours de sa vie mais Diderot casse le fil pour ironiser en passant à la blessure d'un genou.

Conformément à sa carrière, Diderot s'inscrit avec ce roman dans les lumières et la modernité puisque le thème pousse à la réflexion et prête à de vives discussions au XVIIIème; le rythme du roman est cassé perpétuellement non par maladresse mais pour donner de la vélocité à l'oeuvre et surprendre le lecteur. Ainsi on retrouve dans "Jacques le fataliste" une succession d'anecdotes savoureuses et quelquefois très libertines: la sulfureuse Madame de la Pommeraye, Melle Agathe et son amant caché, le vice pervers de l'abbé Hudson, Denise etc...

Ici, le philosophe est le valet et dans cet enchevêtrement d'histoires Diderot s'amuse à nous tourmenter tout en nous faisant sourire voire rire de bon coeur, la rapidité des dialogues et le jeu comique des deux protagonistes donne un ton souvent très Commedia del arte. Et puis avec ses airs de petit roman rapide et désarticulé Diderot a su articuler l'oeuvre de façon très symétrique, le roman commence par une chute de cheval et se termine de la même façon, la boucle est bouclée.

Sur la route, deux voyageurs : Jacques et son maître…

Le but du voyage est inconnu et finalement sans intérêt, seul importe leur dialogue. Le valet entame l’histoire de ses amours afin de distraire son maître — ou tout au moins essaye — car son récit est sans cesse interrompu par d’autres contes — la manipulation terrible de Mme de La Pommeraye pour se venger d’un amant infidèle, la ruse du Père Hudson, génie dans le mal — et nombreuses sont les aventures singulières qui viennent troubler l’itinéraire des deux voyageurs. Tout semble prétexte à remettre à plus tard l’histoire des amours de Jacques que l’on retrouve comme un refrain, à force, comique. Les rapports entre le maître et son valet sont plus amicaux que conflictuels, même si Jacques, « fataliste », est persuadé que son seul maître est le destin.

Le refus de l’illusion romanesque

Diderot bouleverse le rôle traditionnel du narrateur. Il n’emmène pas son lecteur dans une histoire imaginaire structurée ; au contraire, il doute, questionne et propose. Pour ce faire, il intègre un lecteur fictif avec lequel il dialogue sur le déroulement de l’histoire. Dès le début, il affirme son ignorance (« Est-ce qu’on sait où l’on va ? ») et fait comme si le récit lui échappait. Les digressions abondent, où l’auteur casse l’illusion du récit (« J’ai oublié de vous dire, lecteur… ») et refuse toute satisfaction romanesque (« Qu’est-ce qui m’empêcherait de marier le maître et de le faire cocu ? »). En rhapsodie, des histoires parallèles viennent obscurcir le fil narratif. Néanmoins, un autre plaisir s’installe pour le lecteur, celui de n’être plus passif mais subjugué, associé aux infortunes des personnages. L’attente impatiente du lecteur peut ainsi se transformer en complicité avec le narrateur.

Un fatalisme paradoxal

La figure du valet sort, elle aussi, de l’ordinaire ; c’est Jacques qui détient le monopole de la parole et ainsi l’autorité sur son maître. Il mène son maître comme l’auteur mène son lecteur. Il se veut avant tout philosophe et répète, en souvenir de son capitaine, que « tout ce qui arrive de bien et de mal ici-bas est écrit là-haut ». Mais le philosophe a ses contradictions : ses actes ne suivent pas ses idées et paroles. Au lieu d’être un fataliste passif et soumis entièrement au destin, Jacques puise dans la philosophie une force entreprenante, un courage qui lui permet d’oublier sa peur. C’est ainsi qu’il s’élance au-devant des dangers sans hésitation : s’il est écrit là-haut qu’il lui arrivera un malheur, il n’y pourra rien changer, autant avoir l’air d’un héros. Finalement, le fatalisme de Jacques est moins une philosophie intellectuelle qu’une manière de trouver le repos grâce au refus de toute métaphysique.

L’écriture comme métaphore de la philosophie

L’idée philosophique de l’œuvre trouve ici une forme adéquate. L’incertitude de l’auteur quant à la suite des événements peut se confondre avec l’incertitude de l’Homme face à son destin. Il ne sait où l’enchaînement de ses idées va le mener comme nous ignorons où l’enchaînement inéluctable des faits nous conduira. Le destin gouverne l’Homme, lequel n’a que l’illusion d’influencer sa destinée. « Nous marchons dans la nuit au-dessous de ce qui est écrit là-haut, » dit Jacques. Dans ces conditions, Diderot choisit une forme d’écriture elle aussi incertaine, perpétuellement en questionnement et doutant de tout. Par les récits simultanés, les ruptures, les accélérations, les ralentissements, l’œuvre est toujours en mouvement. De même l’Homme, selon le déterminisme de l’auteur, est une matière soumise au mouvement, aux métamorphoses de la Nature. Le narrateur n’offre donc pas une fin absolue aux péripéties mais relance la narration sur un nouveau doute, puisqu’il est impossible de fixer un seul instant la trame d’une vie. Si l’Homme fait partie d’un tout, s’il est une maille ne pouvant échapper à sa chaîne, la liberté n’est qu’une illusion, « un mot vide de sens » et nos actions sont régies par des causes extérieures qui nous sont inconnues. Diderot s’inscrit dans la lignée de Spinoza pour qui « l’Homme n’est pas un empire dans un empire » mais une partie intégrante de la Nature. Le monde de Diderot est régi par une inéluctable nécessité. Du moins, le temps d’écrire Jacques le Fataliste, l’auteur réussit-il à être le maître absolu et à jouir d’une certaine liberté.


Résumé de Jacques Le Fataliste de Denis Diderot

Jacques le Fataliste conte les aventures et les conversations de deux cavaliers, Jacques et son maître, alors que les deux hommes cheminent vers une destination inconnue.

Jacques est un valet courageux, intelligent, généreux et a le sens de l’initiative. Philosophe prolixe il affirme que « tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit la-haut ». Le maître de Jacques apparaît lui, sous les traits d‘un aristocrate oisif, amorphe et irascible. Il est aussi très dépendant de son valet et l’entraînera par sa lâcheté et sa maladresse dans les pires mésaventures. Par la faute de son maître, Jacques subira les attaques de brigands, il sera pris à parti par la foule et se retrouvera même en prison.

Comme l’écrit Olivier Wotling : « Les incidents ou aventures de parcours , les rencontres fortuites , les haltes dans les auberges sont autant d’occasion pour débattre de problèmes philosophiques et moraux , ou pour raconter des histoires qui en illustrent d’autres aspects : Peut-on agir librement ou sommes nous soumis à une destinée inexorable et insondable ? Où est la vertu , où est le vice ? Peut on être objectif ? … »

Au début du roman Jacques raconte comment un enchaînement fatal de circonstances l’a rendu amoureux et boiteux. Son récit est interrompu de nombreuses fois. Il disserte des femmes , des blessures au genou, de la liberté , du déterminisme, de galanteries impertinentes.

Les deux hommes affrontent aventures sur aventures. Attaqués par des brigands , ils se perdent puis se retrouvent. Ils se réfugient dans l’auberge du Grand-Cerf et restent à l’abri durant l’orage. La patronne de l’auberge leur conte la terrible aventure survenues à l’un des clients de l’auberge, le marquis des Arcis. Ce voyageur , qui a délaissé son amante, Mme de La Pommeraye a subi sa colère. Elle a réussi à se venger en lui faisnt épouser une courtisane.

Le beau temps revenu, les deux hommes reprennent la route. Jacques continue le récit de ses amours. Blessé à Fontenoy, il est recueilli par une paysanne qu’il a charmée , puis est accueilli au château de Desglands . Il y fait la connaissance de Denise, la fille d’une servante etl raconte à son maître comment il a perdu sa virginité.

Jacques laisse ensuite son maître évoquer lui aussi ses propres souvenirs :

Etudiant innocent, il a été trompé par son ami, le chevalier de Saint-Ouin, qui s’est avéré être un escroc. Ce dernier lui a volé son argent et l’a poussé dans les bras d’Agathe sa propre maîtresse. Le maître de Jacques fut alors obligé d’endosser la paternité de l’enfant de ce bandit.

C’est alors que nous apprenons que le but de ce voyage est justement cet enfant qui a aujourd’hui 10 ans. Mais chez la nourrice, le hasard fait se rencontrer le maître et le chevalier de Saint-Ouin. Le maître tue le chevalier en duel et s’enfuie en laissant Jacques se faire emprisonner à sa place. Le caleureux valet ne devra son salut qu’à des brigands . Il sera ensuite accueilli au château de Desglands. Il parviendra à éviter que le château ne soit pillé et épousera Denise.

Avec Jacques Le Fataliste, Diderot nous livre un roman nouveau par sa construction et innovant par son procédé. Ce récit nous interpelle sur une interrogation fondamentale : l'homme est-il libre et peut-il infléchir son destin ?

Jacques le fataliste et son maître [sur le net ]
Jacques le fataliste et son maître [ 2 ]
Jacques le fataliste et son maître [ 3 ]

Azadunifr

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