le siècle des lumières

Monday, December 15, 2008

Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient [Denis Diderot],

ouvrage scientifique et philosophique de Denis Diderot, publié en 1749.

L’hypothétique « aveugle-né qui recouvre la vue » a envahi le discours philosophique depuis la question posée en 1692 par Molyneux à Locke — dont l’Essai sur l’entendement humain est de peu antérieur : un aveugle recouvrant la vue distinguerait-il, sans les toucher, un cube d’une sphère ? Ce débat culmine alors que Réaumur vient de réaliser sur un aveugle-né la première opération de la cataracte, à laquelle Diderot a assisté sans pouvoir toutefois observer la réaction du sujet à son réveil, Réaumur ayant réservé ce privilège à deux « beaux yeux sans conséquence ». Diderot, dont ce deuxième écrit personnel (après les Pensées philosophiques) est une manière d’introduction à sa philosophie, commence donc par interroger un aveugle-né de Puiseaux (Loiret), avant de s’intéresser, fort de ses premières conclusions, à un cas plus complexe : celui du mathématicien aveugle Saunderson (1682-1739), dont il restitue le compte rendu des derniers moments. Pour qui postule que toute connaissance nous vient des sens, qu’a donc à nous dire un aveugle, que valent nos certitudes de « voyants » ? Telle est l’interrogation véritable de Diderot, qui va lui servir à rejeter définitivement l’hypothèse de Dieu.

« SI TOUTES CHOSES DEVENAIENT FUMÉE, NOUS PENSERIONS PAR LES NARINES. » HÉRACLITE

Rendre compte de l’expérience de l’autre, de l’infirme, est essentiel pour Diderot : une morale, une esthétique, une métaphysique appuyées sur quatre sens diffèrent des nôtres car les idées générales proviennent de la structure des organes de nos sens. L’honnêteté, la pudeur, la compassion ont ainsi un sens différent pour l’aveugle de Puiseaux. Quand à l’argument physico-théologique qui fait des beautés de la nature une preuve de l’existence de Dieu, son créateur, que vaut-il pour l’aveugle Saunderson, demande Diderot ? Ce que les cartésiens appellent « âme » et situent dans le cerveau, l’aveugle le mettrait plutôt au bout des doigts, ou dans ses pieds. Nous avons trois « portes de la connaissance », poursuit-il : la vue, l’ouïe, le toucher : où est donc le langage tactile, comparable au langage parlé et à l’écriture ? Diderot insiste ici sur la mémoire des mains et de la peau, suggère l’éloquence de la caresse : sensualisme et sensualité.

« SI LES ROSES QUI NE DURENT QU’UN JOUR FAISAIENT DES HISTOIRES… » (FONTENELLE)

La Lettre sur les aveugles montre l’intérêt passionné de Diderot pour les subjectivités singulières, qui nous renseignent sur l’arbitraire de nos constructions intellectuelles. Et s’il existait des hommes dotés d’un sixième sens ? Saunderson avait fait un rêve, comme une anti-Genèse, où lui apparaissaient, dans un tohu-bohu sans Dieu, des conglomérats de matière vivante, une multitude de monstres pour quelques êtres organisés, l’humain qui « se serait répandu dans une autre espèce », disparaissant « dans la dépuration générale de l’univers ». C’est la relation de ce rêve transformiste, confirmation de l’orientation matérialiste de Diderot, qui vaut à ce dernier un emprisonnement de plusieurs semaines au donjon de Vincennes pour « intempérance d’esprit ».

( Azadunifr )

Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient [ sur le net ]
Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient [2 ]
Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient [3 ]

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