le siècle des lumières

Monday, December 15, 2008



Paradoxe sur le comédien

essai de Denis Diderot, présenté sous la forme d’un dialogue, écrit en 1773, remanié en 1778 et publié en 1830.

Reprenant en 1770 l’opposition du Ion de Platon entre inspiration et « technè » propre à l’interprète, Diderot se place résolument du côté de la technique dès les Observations sur Garrick ou les Acteurs anglais (1770). Le théâtre comme pantomime à l’italienne est alors populaire. De divertissement du Prince, il devient, comme la peinture, occasion d’éduquer le citoyen. Les tableaux de Greuze agissent immédiatement ; or, le texte théâtral de la « comédie larmoyante » doit passer par des médiateurs : les comédiens.

« Les larmes du comédien descendent de son cerveau »
Le temps de la représentation, projeté dans le « Monde des Formes », le spectateur se prête à une illusion d’optique, croyant voir la grande Agrippine et non la petite comédienne Clairon. Dépouillé de « l’homme privé », cire vierge où s’inscrivent les effets théâtraux, il imite en lui les passions agitant ces « spectres » sur la scène : or, ces « mouvements d’entrailles » ont « la tête » comme relais et juge de la valeur de l’illusion, permettant ou refusant l’émotion au « diaphragme ». Car une scène de rue émeut directement la sensibilité, mais la sensation au théâtre est relayée par l’imagination, la mémoire, le jugement de goût. De même pour le comédien qui est ce leurre, manipulant consciemment un dispositif qu’il a construit, ayant pour matériaux les symptômes de la nature humaine entière et non sa seule « nature » : imitant, il est double, cause insensible de l’émotion théâtrale. La « technè » propre du comédien n’est pas de sentir mais de produire des signes qui feront sentir. Le comédien n’est pas feu, mais glace, au double sens d’eau gelée et de miroir.

« En période ascendante, toute physique de l’art (Chardin) doit se couronner d’une métaphysique (Greuze) » (Roland Barthes)


Cet « hypocrite » qu’est l’acteur se jouerait du spectateur, son « naturel » serait factice, sa sensibilité nulle. Ainsi simplifiée, la thèse de Diderot blesse le narcissisme de l’acteur. C’est oublier que Diderot conteste pour tout homme la pertinence des catégories métaphysiques de sujet, d’identité à soi, de permanence de la substance : tout homme est plusieurs personnages, fait de bric et de broc. Diderot surtout rappelle la fonction première du théâtre à Athènes : représenter la Cité et éduquer le citoyen. Roland Barthes a ainsi, à juste titre, rapproché Diderot de Brecht et d’Eisenstein.

( Azadunifr )

Paradoxe sur le comédien [ sur le net ]

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