le siècle des lumières

Saturday, December 13, 2008

Le roman picaresque

Le roman picaresque (de l'espagnol pícaro, « misérable », « futé ») est un genre littéraire né en Espagne au XVIe siècle et qui a connu sa plus florissante époque dans ce pays.

Le roman picaresque participe du récit d'aventures et du roman de formation. Le héros picaresque, jeune et naïf, aux prises avec un monde livré à la misère la plus noire, miséreux lui-même, court les routes, devient valet, voleur, mendiant, passe d'un maître à un autre. La narration consiste en une succession d'aventures et de mésaventures. Le nom de picaro signifie d'ailleurs très exactement « aventurier ».

Le modèle picaresque date du Siècle d'or espagnol. L'œuvre considérée comme le premier roman picaresque est la Vie de Lazarillo de Tormes (1554), roman anonyme qui pose un certain nombre des traits caractéristiques du genre, et, en premier lieu, le caractère rétrospectif du récit, puisque le roman picaresque se présente toujours comme l'autobiographie fictive d'un picaro.

Le héros ingénu et enfantin de ce premier roman picaresque, Lazarillo, n'est pas encore appelé un picaro, et son histoire est celle d'une ascension sociale, dans la mesure où de mésaventures en déconvenues, de tromperies en vols, Lazarillo finit par réussir à échapper à sa misère initiale. Il y a dans le picaresque espagnol une dimension qui explique qu'on ait décrit ces romans comme retraçant une épopée du ventre et de la faim.

C'est à partir du Guzmán de Alfarache (1598), de Mateo Alemán, que le héros sera le picaro par excellence, un mendiant et un voleur, qui évolue dans un monde décrit sans illusion aucune, où l'on trouve de faux prêtres, de faux mendiants, des avares, des voleurs et des ruffians. Le Guzmán de Mateo Alemán est un galérien, passé maître dans l'art de voler et de tromper.

Il existe aussi une version féminine du personnage du picaro, la Picara Justina (1605). La Célestine (1499), de Fernando de Rojas, n'est pas à proprement parler un roman picaresque, mais ce récit dialogué comporte des personnages (comme celui de l'entremetteuse) que la littérature picaresque mettra souvent en scène, notamment Daniel Defoe dans Moll Flanders (1722). Le Buscón (1626), de Quevedo, continue la tradition picaresque en accentuant sa dimension aventureuse.

En Allemagne, la tradition picaresque est représentée par les Aventures de Simplicius Simplicissimus (1669), de Grimmelshausen, dont le très candide héros, chassé de la paisible maison paternelle, va connaître les aventures les plus extraordinaires. Le Gil Blas de Santillane (1715-1735), de Lesage, constitue la synthèse d'un genre irrévocablement lié à la littérature du Siècle d'or espagnol et de l'ironie du XVIIIe siècle. Le héros, Gil Blas, valet de multiples maîtres et enfin maître lui-même, s'inscrit dans la tradition picaresque : c'est un bon garçon, un peu simple, jeté sur les routes par des successions de hasards, et qui, une fois devenu riche et honnête, raconte son histoire.

Le roman picaresque de Daniel Defoe, Moll Flanders, est l'histoire des « heurs et malheurs de la célèbre Moll Flanders, qui naquit à Newgate, et fut douze ans une catin, cinq fois une épouse, douze ans une voleuse, huit ans déportée pour ses crimes, et enfin devint riche, vécut honnête et mourut pénitente ». On doit enfin à Tobias Smollett deux autres romans picaresques, les Aventures de Roderick Random (1748) et les Aventures de Peregrine Pickle (1751).

Il se caractérise par un récit sur le mode autobiographique l’histoire de héros miséreux, telle que celle d’enfants orphelins, d’« irréguliers » vivant en marge de la société et à ses dépens ; gens des basses classes, ordinairement, ou déclassés, filous de toute espèce, voyous des rues, bandits de grand chemin, bohémiens, voleurs, capitaines de compagnie, courtisanes, étudiants. Au cours d’aventures souvent extravagantes supposées plus pittoresques et surtout plus variées que celles des honnêtes gens, qui sont autant de prétextes à présenter des tableaux de la vie vulgaire et des scènes de mœurs, le héros entre en contact avec toutes les couches sociales de la société.

( Azadunifr )

Origines

Le roman picaresque se rattache directement à des modèles beaucoup plus anciens. Dans l’Antiquité gréco-latine, le roman avait déjà les mêmes caractères. L’Âne d’or d’Apulée, qui en est l’exemple le plus célèbre, est fait lui aussi d’une extrême variété d’épisodes, souvent reliés entre eux par des liens légers ou arbitraires. Le personnage principal traverse une série d’aventures, qu’aucune existence humaine n’aurait pu connaître dans la réalité ; et il s’y ajoute encore plus d’un récit gratuitement introduit par un personnage épisodique. L’œuvre d’Apulée continuait, elle-même, la tradition des « fables milésiennes », fables qu’elle se contentait parfois de recoudre entre elles de même que les grands poèmes homériques semblent bien avoir recousu entre eux des chants épiques de l’âge antérieur. Ce genre d’œuvres trouvaient leur raison d’être profonde et durable, dans un effort de l’art littéraire pour s’égaler à la diversité de la vie, diversité qu’aucun des autres genres n’était à même d’embrasser.

Esthétique

Le roman picaresque est généralement porté par une vision critique des mœurs de l’époque. Mais les éléments sociaux ou moraux sont bientôt doublés par l’élément esthétique du roman picaresque dont la structure très libre, pour lors même qu’elle n’est pas complètement absente, permet à l’auteur d’introduire à chaque instant de nouveaux épisodes, sans les faire sortir de ce qui précède. Ce manque de logique et de nécessité interne dans le développement finit par distinguer le roman picaresque.

À la différence des autres genres littéraires comme la tragédie, la comédie, le discours ou l’histoire qui s’astreignaient tous à des lois précises de développement, de construction, et parfois même n’hésitaient pas à faire violence à la réalité pour la soumettre à l’harmonie de l’art, le roman fonctionnait sans règles. Toute peinture de la société, pour être un peu vaste et foisonnante, devait échapper aux règles habituelles, et trop étroites, de la composition afin de pouvoir représenter l’infinie diversité de la vie et du monde social. Le roman picaresque a su contourner l’écueil qui menaçait le roman psychologique dont les personnages peu nombreux, l’action simple et rectiligne, le milieu uniforme ou à peine caractérisé, les réalités quotidiennes estompées, sinon pudiquement oubliées risquait de l’appauvrir en en faisant un double, ou un substitut, de la tragédie.

Caractéristiques

Six caractéristiques constitutives distinguent le roman picaresque :

1.Le protagoniste est un pícaro de rang social très bas ou qui descend de parents sans honneur ou ouvertement marginaux ou délinquants. Le profil d’antihéros du pícaro constitue un contrepoint à l’idéal chevaleresque. Vivant en marge des codes d’honneur propres aux classes dominantes de la société de son époque, son plus grand bien est sa liberté. Aspirant également à améliorer sa condition sociale, le pícaro a recours à la ruse et à des procédés illégitimes comme la tromperie et l’escroquerie, mais sa mauvaise conscience le tourmente fréquemment.

2.Structure de fausse autobiographie : le roman picaresque est narré à la première personne comme si le protagoniste racontait ses propres aventures, à commencer par sa généalogie, contrairement à ce qu’est censé faire un chevalier. Le pícaro apparaît dans le roman dans une double perspective : comme auteur et comme acteur. Comme auteur, il se situe dans un temps présent qu’il évalue à l’aune de son passé de protagoniste et il raconte une action dont il connaît le dénouement à l’avance.

3.Déterminisme : bien que le pícaro tente d’améliorer sa condition sociale, il échoue toujours et restera toujours pícaro, c’est pourquoi la structure du roman picaresque est toujours ouverte. Les aventures racontées pourraient se poursuivre indéfiniment car l’histoire n’est pas capable d’évolution susceptible de la transformer.

4.Idéologie moralisante et pessimiste : chaque roman picaresque en viendrait à être un grand cas exemplaire de conduite aberrante systématiquement punie. Le picaresque est très influencé par la rhétorique sacrée de l’époque, fondée dans beaucoup de cas, sur la prédication d’exemples relatant la conduite dévoyée d’un individu qui finit soit par être puni soit par se repentir.

5.Intention satirique et structure itinérante : la structure itinérante du roman picaresque meut le protagoniste dans chacune des strates de la société. L’entrée du protagoniste au service d’un élément représentatif de chacune de ces couches constitue un nouveau prétexte de critique de celles-ci. Le pícaro assiste ainsi, en spectateur privilégié, à l’hypocrisie incarnée par chacun des puissants nantis qu’il critique à partir de sa condition de déshérité puisqu’il ne s’érige pas en modèle de conduite.

6.Réalisme, y compris naturalisme dans la description de certains des aspects les moins plaisants de la réalité qui, jamais idéalisée, est au contraire présentée comme une moquerie ou une désillusion.

Postérité

Le picaresque s’est également exporté en France avec, par exemple, l’Histoire de Gil Blas de Santillane de Lesage qui est, en quelque sorte, le dernier chef-d’œuvre du roman picaresque. Ce genre littéraire a eu une postérité, car il en subsiste des traces jusque dans le Bildungsroman allemand comme le Wilhelm Meister de Goethe.

Romans picaresques

La Vie de Lazarillo de Tormes (1554) (anonyme)

Guzmán de Alfarache (1599-1604) (Mateo Alemán)

La Pícara Justina (1605) (López de Úbeda)

Les Relations de Marc d'Obregon (Relaciones de la vida del escudero Marcos de Obregón) (1618) (Vicente Espinel)

El Buscón (1626) (Francisco de Quevedo)

Le Diable boiteux (1641) (Vélez de Guevara)

La Garduña de Sevilla (1642) (Castillo Solórzano)

La vida y hechos de Estebanillo González, hombre de buen humor (1646) (Anonyme)

Les Aventures de Simplicius (1668) (Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen)

Balthasar Kober (1980) (Frédérick Tristan)

( Azadunifr )

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