le siècle des lumières

Saturday, December 13, 2008

Le Diable Boiteux et Turcaret

Turcaret ou le Financier est une comédie en cinq actes en prose de Lesage représentée pour la première fois à la Comédie-Française le 14 février 1709.

Peu de temps après parut « Le Diable boiteux », imprimé en 1707, dont Le Sage a pris le nom et l'idée dans « El Diablo cojuelo », de Louis Velez de Guevara. Cet ouvrage est la satire de tous les états. Quoique le merveilleux qui en fait le fond ne donne lieu qu'à des récits épisodiques, cependant la diversité des aventures, une critique vive et ingénieuse, la vérité des portraits, un style nerveux et correct, des anecdotes piquantes, relatives à quelques contemporains, entre autres, celles qui ont trait à Ninon, à Baron, au mariage de Dufresny, ont conservé à ce roman une réputation méritée. Il eut dans le temps une vogue prodigieuse, et occasionna un duel entre deux jeunes seigneurs qui se disputaient le dernier exemplaire de la seconde édition. Dix-neuf ans après, Le Sage en donna une troisième, augmentée d'un volume, pour lequel il dit avoir emprunté des vers et quelques images à Francesco Santos, auteur de « Dia y noche de Madrid »; en 1737, il publia la quatrième édition, à laquelle il ajouta « l'Entretien des cheminées de Madrid », et « les Béquilles du Diable Boiteux », opuscules dont l'un est une suite du roman et l'autre (par l'abbé Borderon) en est l'éloge. Il avait présenté aux comédiens une pièce en un acte, intitulée « Les Etrennes », pour être jouée le 1er janvier 1708 : sur leur refus, il la refit en cinq actes, sous le titre de « Turcaret »; mais il eut moins de peine à la faire recevoir qu'à la faire représenter. Cette comédie, l'un des plus beaux titres de gloire de l'auteur, parut à une époque où les malheurs et les besoins de la France avaient multiplié les traitants et les maltôtiers, dont les noms abolis par l'usage et devenus presque injurieux ont été remplacés par ceux de fournisseur et d'agioteur, qui ne sont guère plus honorables. Voulant signaler sa haine contre ces vampires, Le Sage avait lu sa pièce dans plusieurs sociétés. Le bruit des applaudissements qu'elle y avait obtenus alarma les financiers. Ils cabalèrent parmi les actrices pour empêcher la représentation de la satire la plus amère à la fois et la plus gaie qui ait été dirigée contre eux. La duchesse de Bouillon, qui tenait chez elle un bureau d'esprit, promit sa protection à l'auteur, et lui fit demander une lecture de sa pièce. Au jour convenu, Le Sage, retenu au palais par le jugement d'un procès important qu'il eut le malheur de perdre, ne put être exact au rendez-vous. En entrant chez la princesse, il raconte sa disgrâce et se confond en excuses. On le reçoit avec hauteur, on lui reproche aigrement d'avoir fait perdre deux heures à la compagnie. « Madame, dit Le Sage avec autant de sang-froid que de dignité, je vous ai fait perdre deux heures, il est juste de vous les faire regagner : je n'aurai point l'honneur de vous lire ma pièce ». On s'efforça de le retenir, on courut après lui, mais il ne voulut ni rentrer ni remettre les pieds dans cet hôtel. A un grand caractère, avantage qui accompagne toujours le vrai talent, Le Sage joignait une âme fière et désintéressée. Les financiers lui offrirent cent mille francs pour l'engager à retirer du théâtre une comédie qui devait mettre au grand jour les secrets et les turpitudes de leur métier; mais malgré sa pauvreté, il rejeta leurs offres, et sacrifia sa fortune au plaisir d'une vengeance légitime. Furieux de son refus, ils redoublèrent leurs intrigues, et il ne fallut rien moins qu'un ordre de Monseigneur, daté du 13 octobre 1708, et consigné sur le registre de la Comédie française, pour forcer les comédiens d'apprendre et de jouer « Turcaret ». Cette pièce fut enfin représentée le 14 janvier 1709, et malgré les efforts de la cabale, malgré les murmures des gens qui avaient cru s'y reconnaître, malgré le froid excessif qui obligea de fermer les spectacles, elle obtint la plus brillante réussite. L'auteur y avait joint une sorte de critique en forme de prologue et d'épilogue, dialoguée entre dom Cléophas et Asmodée, les deux principaux personnages du « Diable boiteux »; mais on la supprima dès la première reprise. Cette comédie est bien supérieure à toutes celles que Le Sage a imitées de l'espagnol, et son succès ne s'est jamais démenti. On a reproché à cet ouvrage de trop mauvaises moeurs; mais si la comédie doit peindre le vice et le présenter sous le point de vue ridicule, Le Sage a parfaitement atteint ce but. Ecrivain très moral, il n'a point eu le tort de rendre le vice séduisant, reproche mérité par quelques-uns de nos auteurs comiques. Tous les personnages de « Turcaret », excepté le marquis, sont plus ou moins fripons, mais aussi ils sont tous plus ou moins méprisables, et si, par ce motif, la pièce manque d'intérêt, défaut moins sensible dans la comédie que dans la tragédie; si l'action en est faible et presque nulle, ces défauts sont amplement rachetés par un grand nombre de scènes excellentes, par des peintures vraies, un dialogue vif et naturel, une gaieté piquante et satirique, par la finesse des détails, par une liberté, une force d'expressions qui décèlent l'homme de génie pénétré de son sujet, et par une verve comique qui étincelle à tel point qu'il y a peu de pièces dont la représentation soit plus amusante. Tous les incidents, tous les accessoires en sont heureux; chaque mot de Turcaret est un trait de caractère, chaque mot du marquis est une saillie. Ce rôle, supérieur à celui du « Retour imprévu » (de Regnard), est le meilleur modèle qu'il y ait au théâtre des libertins de bonne compagnie qui, suivant la mode de ce temps là, passaient leur vie au cabaret. Quoique cette comédie soit écrite en prose, elle est si fertile en bons mots qu'on en retient presque autant que des pièces les mieux versifiées. Enfin, su elle avait le mérite d'être en vers et qu'elle ne présentât pas plutôt une suite d'incidents très plaisants qu'une véritable intrigue, elle serait placée au premier rang de nos comédies; mais c'est du moins une des premières de la seconde classe. Nous terminerons cet éloge dont Laharpe nous a fourni plusieurs traits, par une observation qui lui a échappé : c'est que Le Sage a eu un avantage que n'a obtenu aucun auteur comique depuis Molière : sa leçon était si bonne qu'elle corrigea les financiers; ceux qui sont venus après lui ont mis tous leurs soins à ne pas ressembler au portrait qu'il avait tracé. Un mérite aussi rare donne lieu de regretter qu'il n'ait pas uniquement consacré ses talents au théâtre français. Il y avait fait recevoir en 1708 « La Tontine », petite comédie de circonstance, assez gaie, qui, pour ces raisons d'Etat ou par des intrigues de coulisse, ne put être jouée qu'en 1732, et ne fut alors pas aussi applaudie qu'elle l'aurait été dans le temps. Ce retard le dégoûta d'une carrière si épineuse. Dédaignant la faveur des grands, il n'était pas homme à mendier celle des comédiens; les railleries qu'il s'est permises contre eux dans tous ses écrits autorisent à croire qu'il eut à s'en plaindre. Il disait à cette occasion : « Je cherche à satisfaire le public; qu'il permettre aussi que je me satisfasse ». Vers le même temps, Le Sage travailla plus pour l'amitié que pour la gloire. François Pétis de la Croix , interprète des langues orientales, se méfiant de son talent pour écrire en français, emprunta la plume de son ami pour corriger le style de sa traduction des « Mille et un jours », qui parut en 1710 et les années suivantes. Le Sage profita des richesses qui lui furent confiées, et trouva bientôt l'occasion de mettre sur la scène plusieurs contes persans.

>>>>>>> Azadunifr

Avec Turcaret, Lesage se montra le digne élève de Molière, atteignant comme auteur dramatique, une hauteur que ni ses débuts ni la nature aimable de son talent ou l’indulgence de son caractère ne faisaient pressentir. Cette pièce, qui est presque le pendant de Tartuffe, est peut-être l’œuvre qui se rapproche le plus des grandes créations de Molière. Turcaret est une satire âpre et vigoureuse de la platitude naturelle et des vices d’emprunt du parvenu de la fortune, dépourvu d’éducation. Sans scrupule ou sentiment humain, Turcaret, à qui tout est bon pour gagner de l’argent, escroquerie, usure, tromperie, finira par se laisser griser par sa réussite en se croyant, dans son impudence, au-dessus des lois et à l’abri des poursuites judiciaires : c’est ce qui le perdra.

On pense que, dans Turcaret, Lesage voulut se venger de quelques traitants auxquels il devait peut-être ses déboires financiers. L’expiation fut sanglante. Avant même de paraître, Turcaret avait excité contre elle les mêmes oppositions que Tartuffe. Les financiers menacés firent jouer toutes les cabales, essayèrent toutes les influences, même celle de la séduction de l’argent envers l’auteur. Ils lui offrirent, dit-on, cent mille livres pour retirer sa pièce et se virent refuser. Ce n’est que lorsque le dauphin, fils de Louis XIV, intervint pour mettre un terme aux difficultés en envoyant aux comédiens du roi l’ordre formel « d’apprendre la pièce et de la jouer incessamment » que put enfin avoir lieu la représentation de Turcaret.

Turcaret est la satire la plus acerbe à la fois et la plus gaie qu’on ait jamais faite. Le dialogue est aussi parfait que les incidents sont heureux. L’humiliation dont l’auteur accable le vice reste plaisante sans, pour autant, jamais rebuter. Le traitant Turcaret apparaît dans toute sa laideur morale, avec son insolence et sa bassesse, son ostentation de prodigalités, ses folies et ses débauches, où la grossièreté native perce sous la vanité. Tous ces traits, qui sont ceux de la nature humaine vue sous le jour d’une situation sociale particulière, sont mis en relief par l’action elle-même, dans une sorte de réalité vivante qui porte elle-même son enseignement moral par la répulsion qu’elle inspire. la peinture de cet épais financier tout gonflé d’or et de bêtise dont les vices ne sont pas encore assez élégants pour échapper au ridicule et qui, trompé, par une coquette et un valet, moqué par tous les personnages, est livré à l’humiliation d’avoir retrouvé sa famille qu’il fuyait, est d’une verve comique qui provoque le rire jusque dans ses malheurs, toujours trop vil pour devenir intéressant, toujours trop niais pour n’être que méprisable.

Lesage n’a pas besoin de flétrir, en son nom et au nom de la vertu, des personnages qu’il lui suffit de faire mouvoir sous les yeux du spectateur. Ne reculant devant aucune situation, les héros et les comparses de sa comédie, le maître, les valets, les amis, forment du haut en bas un monde ignoble et odieux qui n’en est pas moins comique, grâce à la suite de tromperies réciproques où tous ces personnages se laissent prendre. Les dupeurs sont, à tour de rôle, dupés et les fripons victimes de friponneries. La femme qui trompe le financier prodigue et crédule est à son tour trompée par un chevalier d’industrie et par des valets dignes de tels maîtres ; une revendeuse à la toilette, qui vit des épaves de cette scandaleuse opulence, se trouve être la sœur de Turcaret lui-même et reconnaît la femme de ce dernier dans une fausse comtesse en quête d’aventures ; un marquis libertin, client de l’usure et courtisan de la fortune de l’usurier, reconnaît dans celui-ci un ancien laquais de son père et retrouve au doigt de sa maîtresse sa propre bague qu’il a mise en gage chez le traitant. Toute cette fortune échafaudée sur le vice avec tant d’audace croule à la fin, mais sans étouffer la friponnerie sous ses ruines. Frontin prend sa part des dépouilles et, le règne de Turcaret fini, celui du valet commence : c’est le dernier mot de la pièce.

On a reproché à Lesage d’avoir mis en scène, dans Turcaret, des mœurs aussi mauvaises et de ne proposer que des êtres avilis, mais le rôle de la comédie était de peindre les mauvaises mœurs sociales, celles ayant besoin d’être corrigées. Il a également été reproché à Turcaret de n’offrir aucun personnage honnête et sympathique au profit duquel puisse tourner la dénonciation du vice. Cet élément est racheté par la vérité des peintures, l’imprévu des incidents, le comique, des situations, la verve du dialogue, la vivacité des saillies, la gaieté piquante de la satire, le mouvement et la vie de l’œuvre entière. Lesage ne regarde la morale que comme un accessoire subalterne, mais, dans Turcaret, la représentation du vice et de la bassesse se suffit, comme repoussoir, à elle-même. Les formes de l’usure en grand ont pu changer, et avec elles les types de ceux qui l’exercent, mais Turcaret garde une vérité éternelle. Cette pièce dont la morale n’est pas dépourvue de finesse abonde en bons mots qu’on en a retenu presque autant que des pièces les mieux versifiées.

Turcaret se classe parmi les meilleures comédies dépeignant la société réelle de son temps et est restée la satire classique des fortunes improvisées par la spéculation et l’agiotage. Le seul vrai reproche encouru par Lesage est un certain manque d’unité dans l’intrigue, manque néanmoins compensé par la profusion le plus magistrale du description de caractères dans les parties séparées. Turcaret, le financier impitoyable, malhonnête et dissolu, son épouse, vulgaire et aussi dissolue que lui, le marquis écervelé, le chevalier malhonnête, la baronne coquette, sont autant de portraits achevés du meilleur comique, alors que presque autant peut être dit des caractères mineurs. Le style et le dialogue sont également dignes du plus grand éloge ; l’esprit ne dégénère jamais en simple échange de reparties.

Personnages

La Baronne, jeune veuve, coquette
M. Turcaret, traitant, amoureux de la Baronne
Le Chevalier, le Marquis, Petits-Maîtres
Mme Turcaret, femme de Monsieur Turcaret
Mme Jacob, revendeuse à la toilette, sœur de Monsieur Turcaret
Marine, Lisette, suivantes de la Baronne
Frontin, valet du Chevalier
Flamand, valet de Monsieur Turcaret
M. Rafle, usurier
Jasmin, petit laquais de la Baronne

( Azadunifr )

0 Comments:

Post a Comment

<< Home